LE MYTHE DE LA MÉDUSE A-T-IL UNE JUSTIFICATION SCIENTIFIQUE?

Les effets des poisons

Pas même un cœur de pierre n'aurait pu résister au regard charmeur de la Gorgone.

La méduse, évanescente reproduction de cette créature mythique, n'a, sur ce point, rien à lui envier.

Pour les proies dont elle se nourrit, la simple caresse d'un cil de la méduse suppose pour eux un véritable coup de foudre : la décharge qu'ils reçoivent leur fait l'effet d'un électrochoc. En amoureux transis – pétrifiés par le poison – ils s'acheminent vers le manubrium, guidés par l'aguichante créature…

Chez l'Homme en revanche, il n'en va pas de même ; la proie est d'un tout autre acabit. Et pourtant, nous ne lui résistons pas davantage, tant le pouvoir de son poison est important.

La piqûre de la méduse telle que nous la concevons est en réalité due au contact de cnidocils situés à l'extrémité des tentacules avec notre peau et qui, en se brisant sous l'effet d'un simple effleurement, vont entraîner la rupture d'un cnidocyte où est enfermé le venin. Celui-ci va entrer en contact avec la peau par l'intermédiaire d'un cnidoblaste qui va lacérer notre épiderme en provoquant la piqûre.

La méduse actuelle est bien plus subtile que son homologue grecque qui se contentait de statufier tout mortel qui la regardait. Moins artistique peut-être, mais non moins efficace, le mécanisme qu'enclenche le venin de la méduse marine sur notre organisme est très complexe et dépend notamment de la surface de contact (plus celle-ci est grande, plus les effets seront importants) et de la pénétration des cnidoblastes à l'intérieur de l'épiderme.

Action chimique

Si l'on observe attentivement les formules topologiques de chacune des molécules présentées ci-dessus, on remarque qu'elles présentent toutes des similitudes : elles comportent presque toutes un noyau benzénique sur lequel vient se greffer généralement une base azotée (sauf pour les catécholamines et l'acétylcholine).

C'est précisément ce site azoté basique qui va être à l'origine de la réaction acido-basique de saponification entre le poison et la graisse de la peau, réaction dont on connaît les effets bien qu'on ignore encore si nous réagissons réellement de cette manière car encore une fois, le monde mystérieux des méduses peut réserver bien des surprises et les Grecs se sont bien gardés de nous révéler la façon dont Méduse pétrifiait certainement parce que, toute la démarche scientifique étant basée sur l'expérience, les cobayes volontaires ne devaient pas abonder. Il se passe probablement la même chose aujourd'hui avec les cnidaires qui, comme chacun sait (certains plus concrètement que d'autres), ont une piqûre douloureuse.

La réaction de saponification, avec l'application d'une base sur la peau, a l'avantage d'expliquer l'origine de la douleur bien qu'on ne puisse affirmer avec certitude qu'il ne se produise uniquement cette réaction lorsque le poison entre en contact avec la peau.

La réaction a donc lieu de la manière suivante lorsque l'on fait réagir une base totalement dissociée dans de fortes concentrations avec des triglycérides :


triglycéride (triester de glycérol)







(Réaction acido-basique)


Pour le poison de la méduse, on aurait alors une saponification du sébum. Faute d'information, deux hypothèses peuvent être émises. Il peut s'agir soit d'une réaction entre le poison et le sébum dont le mécanisme serait identique à celui de la saponification. On aurait alors :

C'est-à-dire, en adaptant ce mécanisme à la molécule d'histamine (ensemble des réactions intermédiaires) :

(Cliquer sur le schéma pour l'agrandir)

On peut aussi considérer la réaction suivante, qui conduit à la formation d'un savon, un ion carboxylate d'acide gras, par réaction acido-basique :

(Cliquer sur le schéma pour l'agrandir)

Tant le premier mécanisme que le second, permettent d'expliquer la sensation de brûlure, quoique la première hypothèse soit la plus vraisemblable parce qu'on sait que les amines réagissent avec les esters de cette même façon. De plus, si la seconde réaction intervenait, elle se passerait en même temps que la première : il y aurait donc une double réaction.

A la suite de cette réaction, le venin pénètre à travers l'épiderme (grâce aux cnidoblastes) dans le sang pour ensuite passer dans la lymphe et enfin arriver jusqu'aux cellules nerveuses. Une fois à l'intérieur de l'organisme, ces substances vont être véhiculées à travers tout le corps grâce à ces neurones. Ces molécules, aussi synthétisées par l'Homme vont provoquer, du fait de leur présence en surnombre, des potentiels d'action, qui se propagent alors en créant un influx nerveux important, à l'origine de la douleur (synapses neuro-neuroniques) ou d'une paralysie musculaire dans le cas de certains poisons (synapses neuromusculaires).

Afin de mieux comprendre ce mécanisme, il faut avant tout savoir que le neurone reçoit le poison par l'intermédiaire de ses récepteurs post-synaptiques, à savoir les dendrites – petits prolongements cellulaires qui le relient à d'autres neurones –, et le transmet à un autre neurone auquel il est connecté par le biais de son axone – long prolongement le reliant à un ou plusieurs autres neurones. La transmission du message nerveux, i.e. le potentiel d'action, se fait alors sur une surface d'échange nommée la synapse.

Voici donc l'illustration permettant d'expliquer la transmission d'un message nerveux à partir du venin de la méduse, constitué de ce que l'on appelle les neurotransmetteurs :

Schéma de synapse

Sur ce schéma, on observe l'arrivée d'un Potentiel d'Action (PA) sur l'axone du neurone présynaptique (en haut). Cela provoque une différence de potentiel entre l'extérieur et l'intérieur de la cellule qui va ensuite libérer un neurotransmetteur (ici, la sérotonine) dans la fente synaptique – il s'agit de l'interstice séparant deux neurones – qui va être reçu et dégradé par un récepteur post-synaptique (situé sur le neurone du bas) et le PA va continuer à se transmettre de proche en proche. Le neurotransmetteur dégradé est recapturé par le neurone présynaptique où il est à nouveau synthétisé et stocké jusqu'à l'arrivée d'un autre PA.

Ensuite, ce message nerveux dépend essentiellement du type de récepteur post-synaptique qui va capter les neurotransmetteurs. Ils peuvent être de plusieurs types mais on distingue ceux ayant une action inhibitrice, des excitateurs.

Dans le cas de la sérotonine, par exemple, on dénombre jusqu'à 7 récepteurs différents. Par conséquent, on va surtout s'intéresser aux effets des messages nerveux sur les organes, en fonction des récepteurs des molécules du poison…

Action macroscopique

En général, les venins des méduses ne sont pas très efficaces sur l'Homme, se manifestant le plus souvent sous la forme d'une migraine et de picotements, mais selon les quantités inoculées et les toxines contenues, ils peuvent être bien plus dévastateurs, et ce sans compter les réactions allergiques. Prenons l'exemple de la Chironex Fleckeri, capable de tuer au moindre contact. Malgré sa petite taille, cet animal est bien le digne descendant de Méduse.

Toutefois, une question se pose : quels sont exactement les effets des méduses sur l'organisme humain ? Actuellement, elles ne sont plus capables de pétrifier personne, et les toxines ou substances contenues dans leurs cnidocytes sont parfois déjà utilisées dans l'organisme.

La plupart des venins sont composés de toxines, qui sont des molécules dont l'effet physiologique est nocif, même à dose infinitésimale. Elles ont une action ciblée et rapide.

Il est avant tout nécessaire d'apporter une précision sur les cnydocites : ces cellules très particulières existent sous plusieurs formes sur une même méduse. Chaque type de cnydocite contient un type de venin, il arrive donc souvent qu'une même méduse possède plusieurs types de venin, selon ses cellules. Il est donc difficile de faire des généralités sur le sujet, tellement les possibilités sont grandes. Les différentes substances citées plus haut forment différents types de venins, ayant donc des effets différents. La variété est donc très grande, et le mystère demeure quasiment complet quant à la composition et aux effets de tous les venins. Les scientifiques ont malgré tout réussi à en identifier trois types : l'hypnocine, la congestine, et la thalassine, qui forment le groupe des actinocongestines. Cette famille a été clairement identifiée, et ses effets sont assez bien connus. Ce sont par ailleurs les substances responsables des principaux maux dus à la piqûre. La thalassine est de loin la moins dangereuse de ces toxines : elle ne provoque que de l'urticaire, même si elle peut contribuer aux réactions allergiques.

L'hypnocine provoque le plus souvent des paralysies, car elle agit au niveau des synapses neuromusculaires, mais aussi parfois, dans les cas les plus graves, le coma de la victime, lié à l'absence de réaction des muscles aux signaux émis par l'organisme.

Enfin, la plus grave de toutes, la congestine, agit au niveau de l'organisme comme le curare, paralysant les muscles de la victime en bloquant les récepteurs à acétylcholine, surtout les muscles respiratoires, provoquant donc, le plus souvent, la mort par asphyxie. Ces deux derniers types de venin sont neurotoxiques.

Le venin a même parfois un effet dit hémolytique, c'est-à-dire qu'il fait éclater les globules rouges du sang.

Nous avons déjà vu que les cnydocites possédaient un filament barbelé. C'est grâce à ce filament barbelé que les substances toxiques peuvent agir. En effet, lorsque ces harpons atteignent les terminaisons nerveuses, ils les empêchent de recevoir les signaux émis par l'organisme ; cet effet est comparable à celui de certaines drogues. Une fois les terminaisons bloquées, le venin peut agir sans problème, et se répandre dans tout l'organisme. Par contre, avant que la piqûre fasse effet, on ressent déjà la douleur.

Réactions allergiques

Une piqûre de méduse provoque, au niveau de l'organisme interne, la dégranulation des mastocytes, des cellules immunitaires situées au niveau des tissus, qui libèrent, en éclatant, de l'histamine et de la sérotonine. De plus, les substances contenues dans les venins des méduses ont des effets pervers. En effet, l'histamine provoque des symptômes tels que la vasodilatation capillaire par exemple. La dilatation de ces vaisseaux peut-avoir des effets néfastes, tels qu'un collapsus, c'est-à-dire un évanouissement, à cause du piégeage du sang dans ces mêmes capillaires : le sang ne passe plus, tellement les capillaires ont diminué de volume. Selon les individus, ces réactions allergiques peuvent-être plus ou moins violentes, et certains s'en tireront avec quelques boutons là où d'autre pourront y laisser la vie. Mais le principal problème de ces réactions allergiques est qu'il vaut mieux ne pas en souffrir plusieurs fois de suite, car, par exemple pour les siphonophores, une espèce particulière de cnidaire ne faisant pas exactement partie de la branche des méduses, mais proche d'elles malgré tout. Il existe un type de réaction de l'organisme qu'on appelle « anaphylaxie ». C'est tout d'abord une réaction antigénique, avec un effet particulièrement trompeur, car le contact avec la substance responsable de la réaction, loin de renforcer le système immunitaire de la victime, augmente la sensibilité de l'organisme à cette substance. Il est intéressant de préciser que cette découverte, faite par ailleurs grâce aux méduses, récompensée par le prix Nobel en 1913 a longtemps été boudée par la communauté scientifique, car n'étant pas en accord avec la théorie de Pasteur. Parfois, un second ou troisième contact peut provoquer un choc anaphylactique, souvent mortel. Toutes les méduses peuvent donc provoquer la mort, même indirectement ; il n'est plus à prouver que même l'allergie la plus bénigne au premier coup d'œil peut devenir mortelle.

Effets non prouvés scientifiquement

Les substances contenues dans le venin sont toxiques pour l'homme, même à petites doses, c'est la dose qui fait le poison, et plus il y en a, plus l'effet est important. La sérotonine par exemple, cause principalement une augmentation de la perméabilité capillaire. En effet, les capillaires sanguins s'ouvrent aux substances étrangères, ce qui peut entraîner le passage dans le sang de substances normalement non autorisées . Elle stimule aussi la contraction des muscles lisses (intestin, diaphragme…) normalement produites par le corps humain ont ici des effets moins agréables. Les L-catécholamines par exemple ont un effet vasoconstricteur, elles causent ainsi une contraction plus ou moins prononcée des vaisseaux, empêchant ainsi au sang de passer, ce qui peut aller jusqu'à provoquer un évanouissement, ou la mort à long terme, mais aussi des nausées allant même jusqu'au vomissement. La L-quinine enfin est un anti- hypertenseur, et un vasodilatateur, elle dilate les vaisseaux. Un des effets de la vasodilatation est plus remarquable que les autres, de par son étrangeté. Il paraîtrait en effet que la piqûre de la mortelle Chironex Fleckeri provoquerait une érection continue, avant de tuer, en précisant bien qu'il n'y a pas de lien direct entre l'érection et la mort. Peut-être que Méduse était très belle, encore que sa chevelure de serpents ne soit pas des plus séduisantes, mais cet effet n'est cité dans aucun livre de mythologie… Grâce à cette observation, les scientifiques souhaitent créer un remède contre l'impuissance. Malheureusement, les substances et les mécanismes de cette fonction étonnante du venin ne sont pas connus. Nous avons vu précédemment que la méduse était composée à 98% d'eau ; or, le collagène humain est le même que celui de la méduse. On pourrait donc penser à créer des crèmes hydratantes à base de méduse afin de rendre les mains plus douces, ce qui s'oppose avec le mythe, Méduse pétrifiant, le marbre n'est pas vraiment lisse. Même si toutes les substances actives contenues dans le venin des méduses ne sont pas toutes connues, certaines d'entre elles ont des effets pour le moins surprenants : il se pourrait en effet que la sérotonine, par exemple, rende aimable…

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